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Souffrance au travail et déni


Une réflexion m'est venue cette semaine en sortant d'un entretien de médiation du travail : Pourquoi est-ce si difficile pour une victime de violences psychologiques d’en parler et de se faire entendre ?

L’hésitation de la personne à évoquer à son responsable ce qu'elle a vécu, la « gène » de révéler ce qu'elle vivait sûrement comme une faiblesse, presque coupable d'avoir subi cette relation.


1. En parler :

Evoquer des éléments abstraits, le sentiment de dénigrement, de non-reconnaissance provoquent la honte. Ces sentiments sont dévastateurs et aliénants, entamant doucement la confiance et l'estime de soi et dégradant l'état mental de la personne petit à petit. Si ces sentiments sont répétés, ils peuvent pousser la personne à ne plus se considérer, à se sentir devenir « rien », « personne ».

Les effets de ces sentiments sont réels, palpables et pourtant ceux qui les vivent ont beaucoup de mal à en parler à leurs proches, à leurs collègues et encore moins à leur responsable.

Pour plusieurs raisons :

- par pudeur

- par manque d'éléments tangibles, de preuve

- parce que sur le lieu du travail, on ne parle pas de ce qui est d'ordre personnel. Seul est abordé ce qui émane de la relation professionnelle.


Il est nécessaire de modifier cette idée reçue.

En effet la relation professionnelle dans le cadre du travail est forcément empreinte de caractère personnel. Nous sommes des hommes et non des robots, et nous réagissons dans un cadre professionnel (comme dans le cadre familial) en tant que personne, avec nos sentiments, nos sensibilités, nos craintes, notre culture, notre histoire. Il est impossible de dissocier les relations professionnelles des relations personnelles pour cette raison. En faisant évoluer ce tabou prégnant dans l'organisation nous permettrions d'avancer aussi dans la problématique de la gestion des conflits.

L'interdiction d’aborder les sentiments qui appartiennent à la sphère personnelle empêche d'exprimer le mal être naissant au travail.

C'est un premier pas pour un collaborateur de pouvoir exprimer ses difficultés de relation, les comprendre, les accepter sans être gêné. En parler c'est aussi surmonter la culpabilité que l'on porte dans cette situation, surmonter le sentiment que l'on est responsable de ce que l'on a subi, comme le ressentent les victimes psychologiques.


2.

Se faire entendre :


Qu'est-ce qui empêche les organisations d'être à l'écoute de ces souffrances ?

Cette question se pose souvent au cours des médiations : comment la structure n'a pu se rendre compte de l'ampleur de la souffrance de son salarié ?


Pour 2 raisons :


- La première raison viendrait de la difficulté en entreprise d'accéder à des outils pour évaluer la souffrance.

Ces outils sont les techniques de communication facilitante, et l’amélioration de la capacité d’écoute entre collaborateurs.

Les organisations mettent en place parce qu'elles y sont contraintes par la loi mais aussi parce qu'elles ont une volonté réelle d'assurer le bien-être de leurs salariés des outils pour favoriser l'écoute : entretiens, séminaires, réunions hebdomadaires…


L'écoute est avant tout une posture qui demande que soient réunies trois éléments : la disponibilité (avoir le temps d’écouter), la volonté (avoir envie d’écouter) et l’ouverture (ne pas avoir de jugement sur ce qui sera dit).

Une solution serait de proposer une formation systématique des managers à l'écoute empathique. Cependant cette écoute ne peut être neutre, comme celle accordée par le médiateur, l'implication du manager dans l'intérêt de la structure l'amène nécessairement à avoir des intentions pour le salarié.


- Ainsi, la deuxième raison de la difficulté de se faire entendre s'explique par l'absence, structurelle et non volontaire de neutralité et d'impartialité des responsables et managers, parties prenantes au sein de l'organisation.

La responsable d’une structure peut être d’une grande qualité d'écoute (remplir les critères ci-dessus évoqués). Son implication dans l'organisation elle-même peut l’empêcher d'entendre la souffrance de la salariée : le carcan culturel enfermant les relations professionnelles, la réglementation sociale qui est censée protéger, mais qui fige la relation et fait perdre la confiance.

Le carcan réglementaire social nécessaire pour la protection des salariés amène parfois à une situation de blocage de toute spontanéité et de toute honnêteté dans les relations entre acteurs des organisations, et empêche la libération de la parole : il empêche l'une de parler librement et l'autre de l'entendre.

En effet le responsable qui fait partie de l'organisation ne peut être impartial ni neutre. Ainsi il est impliqué dans l'objectif de la structure, il prend part parfois aux décisions, il a une responsabilité dans ce sens.


- Enfin l'écoute du manager doit être limitée à la question du travail : Il lui est difficile d’accorder une écoute à un collaborateur plus qu'un autre et d'intervenir sur une relation entre deux personnes. La relation se joue dans la sphère personnelle au dela de la sphère du travail, et dans cet espace, le manager n'a plus les outils, la compétence ni la légitimité pour intervenir.

Pourquoi? Parce que simplement la relation entre ces deux personnes n’est compréhensible que par elles mêmes, et ne peut être gérée uniquement que par elles mêmes.

C'est ainsi que tout naturellement, le processus de médiation permet aux personnes en confiance de créer cet espace qui n'existe plus au sein de l'entreprise : retrouver une liberté de parole, la confiance et la relation personnelle. C'est tout aussi simple que cela.

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