Je verrai toujours vos visages
Le film « je verrai toujours vos visages », de Jeanne Herry, sorti la semaine dernière dans les salles au sujet de la médiation restaurative dégage une force et une émotion que l'on a envie de partager.
Le film émeut par l’humanité dont il fait son sujet principal, et que les personnages incarnent très bien, mais aussi par son analyse et la description pragmatique, presque académique, du déroulement du processus de médiation restaurative. Ce qui en fait un film pédagogique également.
Donner un visage aux auteurs :
Jeanne Herry met donc en scène trois personnages qui ont commis des braquages, et vols à main armées joués par des acteurs étonnants et marquants. Son parti-pris au sujet du second processus évoqué dans le film est de ne pas montrer le visage du personnage dont il est reproché des faits d'agression sexuelle. Le visage de l'auteur est montré seulement dans les dernières minutes du film. Ce personnage n'a d'ailleurs que peu de textes : juste quelques mots. La réalisatrice a choisi de ne pas donner à ce personnage l'espace d’écoute qu'elle accorde aux autres. Le motif de l’agression est peut être la raison de ce choix.
Cette décision de montrer ou ne pas montrer les visages est significative de la difficulté d’accorder une place à ces personnages dans le dialogue, et de façon plus large dans la société. Et c’est tout le propos du film.
Ainsi une réflexion émerge plus particulièrement quant à la difficile représentation, et interprétation des agresseurs qui participent aux rencontres. Le choix des acteurs pour incarner ces personnages, et la façon dont ils sont filmés a son importance. En effet donner un visage et une identité à ces personnes est un acte fort. Le spectateur ressent une attente inquiète de découvrir l’image de l’« agresseur ».
Puis on fait sa rencontre. Puis ensuite au long du film on se familiarise, on l’écoute, on ressent une affinité, une compréhension, pourquoi pas de la sympathie pour lui. Et à ce moment, l’objectif est rempli : la peine n’est pas purgée, le personnage n’est pas repenti, il n’est pas « sauvé », mais il est réinséré dans cette société dans laquelle il peut commencer à jouer un nouveau rôle.
La reconnaissance de l’altérité :
Dans la réalité des vies que l’on croise dans nos métiers, je me rends compte de la difficulté de cette phase : comment amener une personne qui se sent victime d’une autre personne à en parler, la nommer, la qualifier, la reconnaître ; et dans un deuxième temps comment lui permettre de la rencontrer, ou de lui parler. Elle n’en a pas envie, elle n’est pas forcément prête.
En effet, donner un visage à des personnes qui ont commis des actes répréhensibles forts, actes ayant eu des conséquences financières, psychologiques ou physiques sur des personnes ou encore sur des objets, c'est leur accorder un intérêt. C’est aussi leur reconnaître de nouveau une place dans la société. Pas une place facile, pas une place privilégiée, juste une place : un moyen d'exister… et une possibilité d’être acteur de la vie qu’ils veulent engager.
Cet acte de reconnaissance n'est pas aisé. Il n’est pas évident non plus. Il est contesté par certains qui soutiennent un méthode punitive et déshumanisante applicable aux auteurs de forfait. « Pourquoi accorder du temps et de l'écoute à des personnes qui ont « fauté », qui ont mal agi, alors qu'ils ne le méritent pas".
D'autres soutiennent bien au contraire l'importance de réinsérer ou redonner une place à ces personnes.
Ce sont ces mêmes réactions que l'on rencontre en médiation. Une personne qui se dit agressée dans sa relation de travail a tendance à décrire son agresseur comme n’ayant plus ni comportement ni figure humaine : «c'est un monstre», «un fou», «un pervers». Elle peut nier aussi son existence « je ne veux plus en parler je ne veux plus voir son visage ; je ne veux plus avoir à faire avec lui ». C’est une façon de se protéger de l’autre que de le rendre soit inexistant, soit inhumain.
Nier son existence ou lui donner une image de tyran, sans humanité, manipulateur, toxique, permet à la personne de faire entendre comme une victime. Elle cherche alors une écoute de ce qu’elle a subi, de ce qu’elle subit encore. Cette écoute sera donnée lors des entretiens de préparation.
Si l'autre est qualifié de méchant, mauvais, cela autorise aussi à répliquer, à réagir, et à utiliser la force ou la violence légitime.
Souvent elle aimerait que l'écoute ne soit accordée qu'à elle. Le processus de médiation prend forme quand la personne victime comprend que son auteur va être accueilli de la même façon, de façon "inconditionnelle".
L'accompagnement du médiateur :
Le médiateur à ce stade du conflit propose à la personne de formuler différemment la vision qu'elle a de son agresseur, ou de son adversaire. Il évalue sa capacité à se tourner vers l'autre : c’est ce qu'on appelle la phase de reconnaissance de l'altérité.
Il propose à la personne de redonner un visage de l'autre. Il propose une description concrète, par des éléments factuels, pour éviter les interprétations, ou les jugements, et pour amener la personne à décrire les faits.
« c'est un monstre ? qu'est-ce qui vous amène à dire cela ? qu'est-ce pour vous un monstre? cela se comporte comment? Pourriez-vous me décrire les faits qui vous amènent à penser cela »
La description reconnecte la personne non plus seulement à des impressions mais à une réalité, à une dimension humaine. Le monstre reprend finalement un visage, une vie, une fonction, une raison, qui lui donne un caractère humain. Il peut alors écouter , et s’exprimer.
Ce qui est fort et puissant, au sens bouleversant et engageant, dans le processus de médiation restaurative est la place et la parole que l'on donne à ces personnes.
Leur donner la parole pour leur permettre de jouer de nouveau un rôle dans la société, en responsabilité. Leur donner la parole, et leur donner aussi la faculté et le temps d’écouter.
Se souvenir de leur visage.
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