L'audace de la nuance

En référence à l'essai de Jean Birnbaum : "Le Courage de la nuance" publié aux Editions Points qui évoque la "brutalisation du débat public", et la nécessité d'une "discussion franche et argumentée",

L'Association Nationale des Médiateurs, l'ANM, a publié à la veille du premier tour des élections législatives en France une tribune avec ce titre évocateur. Elle a recueilli en soutien la signature d'un ensemble d'organisations de médiation.

Voici cette tribune :

"Nous constatons aujourd’hui dans le débat public la mise en exergue des discours de haine, d’intolérance et d’exclusion. 

 Les êtres humains semblent avoir oublié l'immense somme de malheurs collectifs provoqués par ces attitudes.

 Il faudrait prendre parti, être pour ou contre, haïr sous peine d'être déconsidéré.

 Dans ce contexte, tenter d’introduire de la nuance paraît voué à l’échec. 

Pourtant, chaque jour, les médiateurs exercent leur mission avec l’espoir de parvenir à des accords dans le cadre de conflits parfois violents qui touchent la sphère privée ou la vie publique.

Nous, associations de médiateurs et de médiatrices, appelons à mettre en place des espaces de dialogue partout où cela est possible. 

Les progrès obtenus serviraient de témoins de ce qu’il est encore possible de faire, au nom de notre humanité partagée."

Cette Tribune pourrait être adressée aux futurs élus de la République qui siégeront à l'Assemblée Nationale dès cette semaine. pour apaiser les relations entre les citoyens, et avoir un débat constructif pour le pays. Sous la forme suivante:

"Nous, médiateurs et médiatrices, appelons à apaiser les débats politiques en cours ces prochains jours  en proposant de modifier les positionnements et modes de communication, par les outils suivants :

L’écoute empathique : Apporter de la nuance aux débats publics, ce serait passer d’un mode de confrontation et de rapport de force, à un mode de collaboration malgré les désaccords. Choisir la coopération n’est pas abandonner ses propres valeurs.

Le clivage n’est pas le seul mode de gouvernance.

La nuance serait également dans la reconnaissance de l’altérité : reconnaître l’autre dans sa différence, sans céder sur ses propres enjeux et combats.

Cela passerait par l’abandon de la diabolisation de son adversaire. Aujourd'hui, pour faire passer ses idées, il est nécessaire de faire de l’adversaire un monstre, méchant et inhumain.

Jean Birnbaum relève dans l'écriture de Camus que la polémique « consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, ni s’il lui arrive de sourire et de quelle manière."

Ce mécanisme pousse les citoyens les uns contre les autres dans des luttes fratricides. Les électeurs dans ce climat vivent un conflit de loyauté qui les atteint dans leur intégrité et fausse leur capacité de jugement. Alors que la différence d’opinion peut être acceptable.

Le comportement à adopter est l’abandon de l'usage du dénigrement.

Enfin, la nuance qui apaise réside dans l'usage dans le débat d'un mode de communication clair et sans détour.

L’adaptation des modes de communication est nécessaire : l’abandon des modes bloquant tels que l’insulte, l’injure, le dénigrement mais aussi le jugement, le reproche. Chacun de ces modes sont utilisés sans limite par les médias, comme les politiques, alors que l'on en connait les effets néfastes pour le dialogue, et l'installation d'un climat délétère.

Il serait souhaitable de modifier l'écoute de son adversaire : La gestion de l’émotion que provoque les propos de l’adversaire ; l'intention qui est exprimée derrière un mode de communication détourné; le constat serein du désaccord ; le désaccord audible par l'adversaire. Et l'expression de sa position de façon claire et directe dans les mêmes dispositions d'apaisement et de respect dans la contradiction.

Ces outils sont chaque jour utilisés par le médiateur en accompagnement des personnes en conflit. Ils sont également enseignés dans les écoles partout en France. Ils peuvent donc naturellement être adoptés par nos futurs dirigeants. Nous, les médiateurs sommes là pour les y accompagner.